Des faits divers à l'influence politique : comment un compte Twitter a été récupéré par l'extrême droite.
Cerfia, l'un des comptes d’info les plus suivi de Twitter a été discrètement racheté par un milliardaire d’extrême droite. Ce n’est pas une rupture. C’est l’aboutissement d’une dérive.
En Bref
👉 Cerfia n’a jamais été un vrai média, mais un relai de vidéos virales et de dépêches brutes.
👉 Son nouveau propriétaire finance un plan d’influence politique massif, baptisé Périclès, pour faire basculer le débat public.
👉 Ce rachat pose une question centrale : pourquoi est-il si simple d’acquérir un outil d’information de masse, sans aucune régulation ?
Je m'appelle Axel Beaussart, mais sur Internet on me connaît sous le pseudonyme de Tahzio.
Je suis chroniqueur Culture Internet sur la radio Mouv’, et social creative strategist en freelance.
Mon travail, c’est de décortiquer le web au quotidien : ses tendances, ses tensions, ses merveilles et ses dérives. Car oui, Internet est une culture, avec ses récits, ses codes, ses héros et ses fractures, et je veux l'explorer avec vous.
Ce lundi, la nouvelle s'est répandue sur Twitter : Pierre-Édouard Stérin, milliardaire catholique ultraconservateur, venait de racheter le compte Cerfia, une source populaire d'information rapide sur les réseaux sociaux, forte de plus d’un million d’abonnés. Cette annonce a immédiatement déclenché une vague de désabonnements et de critiques. Mais pourquoi une telle réaction, et surtout, comment en est-on arrivé là ?
Cerfia, une vitrine virale à la frontière du journalisme.
Cerfia n’a jamais été un média au sens traditionnel du terme. Depuis ses débuts, ce compte repose sur la republication d’article tronqués, d’images et de vidéos captées sur Snapchat, accompagnées de résumés brefs, souvent sans contexte, et parfois sans source claire. Sa recette ? Publier vite, provoquer des réactions immédiates et susciter une viralité maximale.
Pendant les émeutes de 2023 par exemple, Cerfia atteint un sommet de popularité, devenant une référence pour suivre les événements en temps réel. Mais déjà, cette méthode suscitait des inquiétudes. Libération avait révélé que le compte faisait partie d'un groupe privé piloté par le ministère de l’Intérieur, recevant des informations exclusives pour accélérer la diffusion des discours officiels.
Pierre-Édouard Stérin : un milliardaire discret mais influent.
Derrière le rachat récent de Cerfia se trouve Pierre-Édouard Stérin, un milliardaire français exilé fiscalement en Belgique, connu pour avoir fondé Smartbox. Moins visible médiatiquement que Vincent Bolloré, Stérin n’en est pas moins déterminé : il finance activement le projet "Périclès", un vaste plan d'influence destiné à soutenir une idéologie d'extrême droite assumée, allant de positions anti-avortement à des politiques anti-immigration radicales.
Ce projet, révélé notamment par France Info et L’Humanité, prévoit d’investir 150 millions d’euros sur dix ans pour renforcer des médias alternatifs, financer des think tanks conservateurs, et former des candidats proches de ses conviction à l’horizon des municipales. Le but affiché est clair : gagner en influence politique et idéologique.
Un cheval de Troie idéal pour l'extrême droite.
Mais pourquoi Cerfia ? Parce que ce type de média alternatif présente de multiples avantages pour une stratégie politique agressive. Contrairement aux grands groupes médiatiques où la rédaction peut bloquer un rachat controversé (c’est le cas de Marianne qui a refusé son rachat par Stérin), Cerfia n’est pas structuré autour d’une équipe journalistique traditionnelle. Pas de déontologie formelle, pas de comité éditorial solide. Il s’agit simplement d’un compte Twitter puissant, dont l’orientation éditoriale peut facilement être ajustée.
Depuis le rachat, des signes d'une évolution inquiétante sont déjà visibles. Les contenus relayés prennent des angles plus marqués politiquement, avec des sujets ou formulations qui épousent progressivement la rhétorique d’extrême droite. Cerfia se transforme, sans grande difficulté, en un outil discret mais puissant de diffusion idéologique.
Un réveil tardif et révélateur.
La surprise générale suscitée par ce rachat révèle un problème majeur : celui d’une naïveté collective face à l’usage des réseaux sociaux comme vecteurs d’information. Cette dérive n’est pourtant pas soudaine. Elle était perceptible dans la manière dont Cerfia traitait l’information : absence de contextualisation, sources floues, contenus émotionnels plutôt qu’analytiques.
Ce réveil tardif met en lumière une réalité dérangeante : il est aujourd’hui extrêmement simple pour des intérêts politiques ou économiques d’acquérir des outils d’information massifs en ligne, sans éveiller de soupçons immédiats.
Une leçon pour l'avenir.
Le cas Cerfia n’est pas isolé. Il interpelle sur la nécessité urgente de clarifier la transparence de propriété des médias, notamment numériques, et d'établir surtout une régulation efficace. Tant que l’on ne traitera pas sérieusement ces questions, d'autres Cerfia apparaîtront, seront acquis discrètement, et influenceront progressivement le paysage médiatique.
Le rachat de Cerfia est un avertissement. Il rappelle l'importance cruciale de rester vigilant face à ce que l'on consomme comme information sur les réseaux sociaux. Et de comprendre enfin que viralité et vérité ne font pas toujours bon ménage.