Le groupe qui n'existe pas... Mais que vous écoutez peut-être déjà.
L’histoire d’un groupe inexistant devenu célèbre sur Spotify. Et si ce n’était que le début ?
Résumé :
👉 Un groupe de rock rétro nommé The Velvet Sundown explose sur Spotify avec 500 000 auditeurs mensuels.
👉 Problème : le groupe n’existe pas. Tout est généré par intelligence artificielle, des musiques aux membres fictifs.
👉 Les plateformes ne préviennent pas les utilisateurs, et les morceaux se retrouvent dans des playlists classiques.
👉 Une question se pose : est-ce qu’on peut aimer une chanson… même si elle n’a jamais été écrite par personne ?
Deux albums en quelques semaines, plus d’un demi-million d’auditeurs mensuels sur Spotify, et des mélodies rétro planantes qui séduisent des milliers d’internautes. À première vue, The Velvet Sundown ressemble à un énième phénomène musical venu de nulle part, une pépite indie découverte au hasard d’une playlist. Mais ce groupe cache un détail essentiel : il n'existe pas.
Une imposture numérique parfaitement orchestrée.
L’histoire commence sur Reddit et Twitter. Plusieurs utilisateurs tombent par hasard sur des titres de ce mystérieux groupe, attirés par l’ambiance rétro-futuriste, les mélodies mélancoliques, les voix éthérées. Très vite, quelque chose interpelle. Les chansons semblent un peu trop parfaites, les voix trop propres, les visuels un peu trop lisses. Quelques recherches suffisent à soulever les premiers doutes : aucun des membres du groupe mentionné sur Spotify ou Instagram n’a de présence ailleurs sur internet.
Rapidement, les médias spécialisés prennent le relais. Ars Technica et Mashable publient des enquêtes approfondies qui lèvent le voile : The Velvet Sundown n’a aucun musicien, aucun compositeur, aucun producteur humain derrière ses morceaux. Tout est entièrement généré par des intelligences artificielles. Les chansons, les textes, les pochettes d’albums, jusqu’aux photos du prétendu groupe diffusées sur Instagram, tout est fictif, tout est artificiel.
L’illusion d’une vie fictive.
Sur Spotify, la biographie du groupe est presque poétique dans son absurdité : « Leur musique évoque la mémoire d’un moment qui n’a jamais existé. » Les prétendus membres – Gabe Farrow au chant, Lennie West à la guitare, Milo Raines aux synthés, Orion Del Mar à la batterie – semblent sortir d’un roman, sans aucune trace concrète sur internet. Pas de comptes personnels, aucune interview, aucun historique musical. Et ce n’est pas tout : chaque chanson indique mystérieusement « écrite et interprétée par The Velvet Sundown », sans producteur ni ingénieur du son.
Poussant l’imposture encore plus loin, un compte Instagram ouvert fin juin partage des clichés du groupe. Mais ces images ont toutes les caractéristiques des visuels générés par IA : symétrie étrange, textures étrangement lisses, et erreurs absurdes, comme un repas où le nombre de couverts ne correspond pas aux convives.
Une popularité suspecte, mais réelle.
Malgré ces évidences, le public répond présent. Les morceaux accumulent des centaines de milliers d’écoutes. Ils sont intégrés automatiquement à des playlists sur Spotify, Apple Music ou Amazon Music. Dans un univers musical où l’écoute passive domine (les playlists d’ambiance, les musiques de fond) il n’est pas si étonnant qu’un groupe sans identité réelle puisse atteindre une telle audience.
Mais ces chiffres soulèvent des interrogations. Comment un groupe totalement inconnu peut-il afficher de telles statistiques ? Certains observateurs soupçonnent que derrière ce succès rapide se cache aussi l’achat massif de fausses écoutes, une stratégie souvent utilisée pour propulser artificiellement des artistes.
La complicité silencieuse des plateformes.
Plus inquiétant encore : les plateformes de streaming, pourtant censées garantir une certaine transparence, se taisent face à ces créations artificielles. Spotify, Apple Music et Amazon Music diffusent les morceaux sans aucune mention particulière. Deezer est la seule à indiquer discrètement que « certaines pistes peuvent avoir été créées par une IA ».
Le problème majeur est donc là : certains utilisateurs écoutent sans le savoir des artistes qui n’ont jamais existé. Aucun consentement explicite, aucune information claire. Ces auditeurs sont-ils trompés ou simplement indifférents à l’origine des sons qu’ils consomment passivement ?
Vers une banalisation inquiétante.
L’histoire récente de la musique connaît des précédents. Dans les années 90, le scandale Milli Vanilli, où deux chanteurs faisaient semblant de chanter, avait secoué toute l’industrie musicale. À l’époque, la révélation avait été explosive, provoquant une indignation massive. Mais aujourd’hui, comment réagirions-nous si nous apprenions que notre morceau préféré, celui que nous avons partagé, aimé, écouté en boucle, n’a jamais été réellement composé ou chanté par quiconque ?
Serions-nous encore choqués, ou simplement résignés ? Cette affaire révèle une question essentielle : dans un monde où la consommation musicale est devenue passive, mécanique, presque automatisée, quel attachement réel avons-nous à l’authenticité ?
The Velvet Sundown n’est probablement que le premier chapitre d’une nouvelle histoire, où la frontière entre création humaine et création algorithmique devient floue, poreuse. Peut-être est-ce une alerte ou simplement le signe d’une mutation profonde de notre rapport à la musique.
Je m'appelle Axel Beaussart, mais sur Internet on me connaît sous le pseudonyme de Tahzio.
Je suis chroniqueur Culture Internet sur la radio Mouv’, et social creative strategist en freelance.
Mon travail, c’est de décortiquer le web au quotidien : ses tendances, ses tensions, ses merveilles et ses dérives. Car oui, Internet est une culture, avec ses récits, ses codes, ses héros et ses fractures, et je veux l'explorer avec vous.